Abstract: Les manifestations de nationalisme et d’antisémitisme qui accompagnèrent la transition furent souvent interprétées en termes de retour du même. En témoignent des expressions chargées en connotations primordialistes telles que « retour des nations et du nationalisme », « réveil des nationalismes », « retour des vieux démons ». Effet « réfrigérant » de la domination du Parti-État, « vide idéologique » postcommuniste, telles furent, dans un premier temps, les explications communément invoquées pour en expliquer la réactivation.
C’est oublier que l’effondrement idéologique du communisme en Europe du Centre-Est a largement précédé celui du Mur de Berlin, et que les passions nationalistes n’avaient jamais été mises au frigidaire sous le régime communiste. Instrumentalisées par certaines élites du Parti comme par des fractions de l’opposition, elles n’ont pas attendu l’effondrement du Mur de Berlin pour se déployer. Reste que leurs manifestations récentes sont d’autant plus difficiles à interpréter en bloc que l’hétérogénéité sociologique de l’Europe du Centre-Est s’approfondit depuis la désintégration de l’Empire soviétique et que le concept même de nationalisme désigne parfois des réalités sociales et politiques diamétralement opposées.
En partant de l’idée que « le renouveau du nationalisme en Europe de l’Est est moins la cause de la situation actuelle que sa conséquence », nous montrerons à partir de l’exemple polonais, que celui-ci participe en réalité d’un phénomène classique de réinvention d’une tradition…
Abstract: Un nombre considérable de juifs a quitté la France dans la dernière décennie, sans que les paroles rassurantes émanant des plus hautes autorités de l’État aient pu arrêter l’hémorragie. Quant à ceux qui restent, ils ne peuvent éviter l’idée de devoir peut-être partir un jour, au regard des événements et d’un climat général dont chacun perçoit le poids.
La sociologie politique, curieusement, n’a que bien peu à dire sur un tel phénomène. Prolixe sur la question de l’immigration, elle est pratiquement muette sur le fait que la France ait pu ainsi devenir une terre d’émigration. Qu’est-il donc arrivé ? Pour le comprendre, l’invocation commode des tensions intercommunautaires et du radicalisme islamiste est bien loin de suffire. C’est une généalogie au long cours de notre situation qui est requise, une restitution des dynamiques complexes où sont intriqués, depuis la Seconde Guerre mondiale, les juifs, l’Europe et l’État d’Israël.
De cette manière, et de cette manière seulement, l’un des points les plus sensibles du malaise politique actuel peut enfin être affronté.
Abstract: Loin d’avoir disparu, la haine des Juifs est entrée dans un nouveau régime en se fixant sur Israël, cible d’une guerre médiatique de haute intensité. L’antisionisme radical, dont l’objectif est la destruction de l’État juif, représente en effet la dernière figure historique prise par la judéophobie. À ce titre, négatrice du droit à l’existence d’une nation, elle constitue l’une des principales formes contemporaines du racisme. Pour comprendre comment s’est accomplie la mondialisation de cette nouvelle configuration antijuive, l’auteur dissèque le nouveau discours de propagande des ennemis déclarés d’Israël tel qu’il s’est développé au cours des années 2000-2010. La nouvelle vision antijuive, qui consiste à « nazifier » les « sionistes » en tant qu’« agresseurs » et à « judaïser » corrélativement les Palestiniens en tant que « victimes », permet d’accuser les « sionistes » de « génocide » ou de « palestinocide ». Ce discours de propagande est replacé dans son contexte international, marqué par une menace islamiste centrée sur l’appel au jihad contre les Juifs.
Analysant divers matériaux symboliques exploités par la nouvelle propagande antijuive — images ou discours —, P.-A. Taguieff donne à comprendre comment et pourquoi la haine des Juifs, plus d’un demi-siècle après la Shoah, a pu renaître sous les habits neufs de l’« antiracisme » et de l’« anticolonialisme » et, grâce aux médias, se diffuser en recueillant l’assentiment d’individus parfois convaincus d’être étrangers à tout préjugé antijuif.
Abstract: Au lendemain de la deuxième Intifada, une situation inédite s'est créée en France. Les agressions antisémites ont connu une explosion sans précédent alors qu'un discours de dénigrement s'est répandu dans les médias et le débat public qui a touché Israël, mais aussi la communauté juive française. Faut-il y voir un dérapage ponctuel ou le symptôme d'un phénomène plus profond? Est-il lié uniquement aux événements du Proche-Orient ou à des logiques purement françaises ? Et si tel est le cas, sont-elles uniquement relatives aux " tensions inter-communautaires " qui opposeraient, selon la rumeur publique, Juifs et Arabes dans une société qui assisterait en spectatrice désolée ou scandalisée à de tels débordements ? Tous ces événements sont certes liés, mais ils se passent avant tout en France et concernent pour la plus grande part des citoyens français. Le mérite de ce livre est d'en sonder la cohérence sociologique, idéologique et politique, spécifiquement française. L'enjeu, gravissime, n'est pas simplement la laïcité mais l'identité nationale, devenue le tabou d'un système idéologique dominant qui vise à la défaire, celui-là même qui produit une nouvelle question juive mais bloque aussi l'intégration de la population immigrée. Or, c'est parce qu'elle était adossée à une identité nationale que la République avait réuni tous les citoyens.
Abstract: Les juifs furent longtemps des patriotes ardents. Ceux qui, dans le passé, se désignaient eux-mêmes comme des « israélites » s’étaient toujours comportés comme des citoyens modèles, affirmant haut et fort leur patriotisme et réinterprétant le judaïsme sur un mode essentiellement spirituel. Aujourd’hui, la République s’affaiblit, l’antisémitisme de l’extrême-gauche rejoint l’antisémitisme traditionnel de l’extrême-droite, l’insécurité grandit. Comment les juifs réagissent-ils ? Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle condition juive en France ? C’est à ces questions qu’une enquête par questionnaires réalisée auprès d’un échantillon de la population juive à Strasbourg, Toulouse et dans la région parisienne, apporte des réponses objectives. Mais l’analyse de la situation actuelle ne peut négliger la réflexion plus large, à la fois historique et sociologique, sur les transformations actuelles des rapports entre les identités ethnico-religieuses et la citoyenneté. L’exemple des juifs peut aussi être un révélateur. Doit-on voir dans les inquiétudes de tous et dans la tentation du repli sur soi d’une partie des juifs le signe d’une « ethnicisation » ou d’une « communautarisation » croissante de la société démocratique ? Cette enquête montre pourtant qu’entre la tentation de vivre entre soi et celle d’intervenir en tant que juifs dans l’espace public, la majorité des juifs français tente d’élaborer ce qu’on peut appeler un « nouvel israélitisme ».