Abstract: Quelques jours après l’attaque du Hamas en Israël, l’IFOP a réalisé pour le Journal du Dimanche, un sondage destiné à comprendre quelles étaient les représentations des Français à l’égard du conflit et de son impact sur une éventuelle importation de violences antisémites en France.
Premier enseignement de cette étude, le conflit au Proche-Orient apparaît comme particulièrement anxiogène. 86% des Français indiquent être inquiets (36% « tout à fait inquiets »), soit un niveau d’inquiétude proche de celui mesuré au début du conflit russo-ukrainien. Le sentiment d’inquiétude atteint son acmé dans certains segments de la population traditionnellement plus favorables à l’Etat Hébreu : les plus de 65 ans (44% de tout à fait inquiets parmi les plus de 65 ans contre 25% parmi les 18-24 ans) ou encore les électeurs de Valérie Pécresse (50% de « tout à fait inquiets »).
Deuxième enseignement de cette étude : les Français établissent clairement un lien entre les évènements au Proche-Orient et l’importation de violences antisémites en France. 48% des sondés estiment ainsi que les Français de confession juive sont plus en danger et 79% se déclarent inquiets que le conflit se traduise par une augmentation des actes antisémites.
Plus globalement, les Français identifient bien les « nouvelles formes d’antisémitisme » comme étant des causes à ce phénomène : 77% citent le rejet et la haine d’Israël, 76% les idées islamistes, soit des niveaux supérieurs à ceux mesurés pour les idées d’extrême droite (66%).
Dernier point, les pouvoirs publics bénéficient d’une certaine mansuétude dans l’opinion : 60% des Français estiment leur faire confiance pour assurer la sécurité des Français de confession juive. Jean-Luc Mélenchon suscite en revanche la défiance sur ce sujet : il apparait comme la personnalité politique qui suscite le moins de confiance pour lutter contre l’antisémitisme (17%), loin derrière Edouard Philippe (46%), Gerald Darmanin (42%), Marine Le Pen (42%) ou encore Emmanuel Macron (41%).
Abstract: A la demande de l’Union des Etudiants Juifs de France et de SOS Racisme, l’Ifop a réalisé une enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population française. Il s’agissait notamment à travers cette enquête de mesurer le niveau et l’intensité des préjugés à l’égard des juifs.
Cet objectif s’inscrit dans un double contexte :
- le dixième anniversaire de l’assassinat d’Ilan Halimi ;
- le premier anniversaire de l’attentat de l’Hypercacher.
A cet égard, l’étude Ifop / UEJF / SOS Racisme avait pour visée de déterminer l’impact des événements tragiques de janvier 2015 sur les préjugés antisémites, une enquête analogue ayant été menée par notre institut en septembre 2014, quatre mois avant les attentats, pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique.
L’Ifop étudie depuis 1946 la perception et la diffusion des comportements racistes ou des préjugés. La mesure de l’intensité de ces comportements à travers une enquête auprès du grand public ne saurait constituer un souhait de les propager : ce sont les résultats de telle ou telle question de ce sondage qui sont susceptibles d’impressionner ou de choquer, non l’instrument qui permet de les mesurer.
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L’enquête Ifop pour l’Union des Etudiants Juifs de France et SOS Racisme, réalisée dans le contexte du double anniversaire des dix ans de l’assassinat d’Ilan Halimi et de la première année de l’attentat contre l’Hypercacher livre les enseignements suivants :
La manifestation d’un antisémitisme brutal et sans fard demeure un comportement très minoritaire dans la société française. Ainsi, moins d’une personne interrogée sur dix admet éprouver a priori de l’antipathie pour les juifs (alors que 29% disent éprouver ce sentiment à l’égard des Maghrébins ou des musulmans). De la même manière, le fait de dénier à un juif vivant dans l’hexagone la qualité de Français ne concerne que 12% de personnes interrogées. Enfin, apprendre qu’une personne de son entourage est juive suscite avant tout de l’indifférence (88% disent « ça ne me fait rien de particulier ») et quasiment jamais de l’hostilité (seulement 2%).
Pour autant, les préjugés et stéréotypes associés aux juifs se maintiennent à un niveau non négligeable dans l’opinion même s’ils ne sont jamais partagés majoritairement. Ainsi, entre un tiers et un quart des interviewés adhèrent à l’idée que les juifs utilisent dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi (32%), qu’ils sont plus riches que la moyenne des Français (31%), qu’ils ont trop de pouvoir dans les médias (25%) ou dans le domaine de l’économie et des finances (24%, contre 19% s’agissant de la politique). Seule la responsabilité des juifs dans la crise économique entraine une adhésion très marginale (6%).
Deux remarques s’imposent à ce stade :
- D’une part, la séquence tragique des attentats de 2015, notamment celui de l’Hypercacher, n’a que marginalement fait évoluer l’intensité des préjugés à l’égard des juifs. Comparé à l’enquête Ifop / Fondation pour l’innovation politique réalisée quelque mois avant les attentats de janvier, on observe surtout de la stabilité dans la récurrence des opinions antisémites. Seul le sentiment que les juifs exploitent dans leur intérêt leur statut de victime génocidaire reflue quelque peu (de 35% en 2014 à 32%).
- D’autre part, l’adhésion à des préjugés antisémites n’est pas homogène selon les catégories de population. Certains segments partagent nettement moins que la moyenne l’ensemble des opinions antisémites testées. C’est le cas des femmes, des jeunes de moins de 35 ans, des cadres supérieurs ou professions libérales et des sympathisants socialistes ou du Front de Gauche. A l’inverse, il est frappant de constater qu’au sein de catégories spécifiques – recoupant des segments majoritaires de la France du « Non » au référendum du 29 mai 2005 – se fait jour une intensité d’adhésion à des opinions antisémites systématiquement plus forte que la moyenne, notamment chez les hommes, les ouvriers, les personnes peu ou pas diplômées et parmi les sympathisants frontistes. Ainsi, 43% de ces derniers adhèrent au moins à trois affirmations relevant de préjugés antisémites contre 24% pour l’ensemble des personnes interrogées. A titre d’exemple, 52% des sympathisants du Front National considèrent que les juifs sont plus riches que la moyenne, soit 21 points de plus que la moyenne observée.
S’ils n’ont pas vraiment fait bouger les lignes des préjugés antisémites en France, les attentats de 2015 ont toutefois modifié les perceptions relatives à la situation des juifs dans notre pays. C’est notamment le cas concernant la pratique quotidienne de leur culte, puisque 62% des Français estiment aujourd’hui que les juifs qui souhaitent porter une kippa dans les lieux publics courent un danger (un constat guère surprenant après la récente agression d’un enseignant portant une kippa à Marseille), 56% considérant plus globalement que les juifs sont désormais obligés de vivre leur religion plus discrètement.
Les attentats ont aussi eu un impact sur la perception de la sécurité des juifs en France, un Français sur deux estime qu’ils sont sous la menace directe du terrorisme islamiste, et 19% considérant qu’ils sont plus en danger que les autres Français (contre 3% pour qui ils sont moins en danger et 78% pour qui tous sont menacés au même titre).
Même si le niveau de de sympathie à l’égard de la communauté juive de France demeure très stable (il n’a changé ni en bien ni en mal pour 87% des Français) et que 40% estiment que les Français juifs ne sont plus vraiment en sécurité de notre pays, on observe une évolution très forte du jugement sur leur devenir: la majorité des personnes interrogées (57%) souhaite aujourd’hui que les juifs de France restent en France, contre 48% en septembre 2014, soit une hausse de neuf points depuis 2014. Seuls 9% des interviewés considèrent qu’il vaudrait mieux pour les juifs de France aller vivre en Israël (stable par rapport à 2014), quand 34% ne se prononcent pas sur cette question.
Arebours du discours médiatique, on observe que l’affaire Halimi marque aujourd’hui encore profondément l’opinion, dix ans après ce fait divers tragique : deux tiers des Français (64%) disent s’en souvenir, dont 44% que déclarent « voir très bien ce dont il s’agit ». Pour 69% des personnes interrogées, l’assassinat d’Ilan Halimi constitue un symbole de ce à quoi peuvent conduire les préjugés sur les juifs. Si près de trois personnes sur cinq (61%) déclarent que cette affaire les a beaucoup touchées, 44% des Français estiment par ailleurs qu’elle a été trop vite oubliée par les médias (contre 33% qui affirment le contraire). Dans le détail des résultats, on observe que ces événements ont davantage marqué les plus âgés ainsi que les plus diplômés.
Abstract: Face à la recrudescence des actes antisémites depuis les années 2000, les Français juifs sont de plus en plus nombreux à rejoindre Israël, à faire leur alya, ou, sans quitter le pays, à changer de ville et d’habitudes pour se sentir à nouveau en sécurité. La communauté juive est travaillée par l’inquiétude, redoutant la violence et la malveillance auxquelles elle est de plus en plus confrontée.
Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach s’emparent de ce ressenti avec pour objectif de poser le sujet en des termes dépassionnés et sur la base de données chiffrées et objectives. Statistiques, enquêtes d’opinion, résultats électoraux sont mis à contribution. A partir d’un cumul d’enquêtes grand public de plus de 45 000 personnes, un sous-échantillon de 724 personnes se déclarant de confession ou d’origine juive a été constitué et 80 entretiens individuels approfondis ont permis de préciser, sur le plan qualitatif, la manière dont se forment les opinions mesurées par les sondages.
En l’espace de quinze ans, le nombre d’actes antisémites a augmenté de façon significative par rapport à la fin des années 1990. La progression n’est pas linéaire (avec des pics liés aux périodes de tensions et conflits au Proche-Orient) et se caractérise par la répétition d’un même motif : les menaces et les injures suivies de violences.
Les établissements scolaires et les lieux de culte sont particulièrement visés et, contre toute-attente, chaque attaque ou agression marquante est le plus souvent suivie d’agressions non moins traumatisantes. Après l’attentat de Toulouse commis par Mérah en 2012, 90 actes au moins ont été recensés en dix jours seulement. A cela s’ajoutent les manifestations de rue – de « Jour de Colère » aux rassemblements pro-palestiniens – où sont régulièrement scandés des slogans antisémites.
L’angoisse qui gagne la communauté juive est telle que certains n’hésitent pas à parler de « pogroms », notamment après la manifestation pro-palestinienne de Paris en juillet 2014 et les émeutes à Sarcelles. L’emploi du terme est contesté par certains, jugé inadéquat par d’autres, mais il en dit long sur le malaise ressenti par la communauté juive.
Les montées d’antisémitisme succèdent généralement à la reprise des violences au Proche-Orient, à l’envenimement du conflit israélo-palestinien. Toute une partie de la communauté juive a pleinement intériorisée cette corrélation et dès que les hostilités s’intensifient, elle change ses habitudes et prend des précautions. Cet arrière-fond géopolitique autorise deux remarques : d’une part, le conflit a des effets retentissants en France, il divise et il stigmatise ; d’autre part, cela permet de fournir une première explication à la surreprésentation des jeunes arabo-musulmans parmi les auteurs de violences envers la communauté juive, l’identification à la cause palestinienne conduirait à la « haine des juifs ».
Ce climat d’insécurisation conduit beaucoup de familles juives à changer de modes de vie. Depuis 2000, en Seine-Saint-Denis, elles sont nombreuses à avoir quitté les grands ensembles pour s’installer dans des communes pavillonnaires. Si l’ascension sociale peut être à l’origine de ces mouvements, c’est le désir de retrouver un cadre de vie rassurant qui pèse principalement dans le choix des familles. Sont privilégiées les villes comme Le Raincy, Villemomble et Gagny où il existe déjà une petite communauté juive et où se trouvent des écoles et des synagogues.
La logique de regroupement prend sens aussi quand les municipalités marquent leur camp dans le conflit israélo-palestinien. Dans les communes qui affichent un soutien fort aux luttes palestiniennes, les juifs se sentent discriminés ; à l’inverse, dans celles jumelées à des villes israéliennes, la communauté juive s’agrandit.
En outre, le choix des familles juives s’étend à celui de l’école pour les enfants. Nombreux sont les parents qui retirent leurs enfants des écoles publiques au profit d’écoles privées catholiques ou juives, non sans cas de conscience pour certains qui sont partagés entre l’attachement à l’école républicaine et le souci de la sécurité de leurs enfants.
Sur le plan politique, le sentiment d’insécurité et l’impression d’une absence de soutien dans la société ont conduit au divorce avec la gauche et à la préférence pour la droite traditionnelle. Alain Madelin d’abord, puis Nicolas Sarkozy rencontrent un écho très favorable au sein de la communauté juive. Néanmoins, et c’est un phénomène récent, le vote en faveur du Front national se développe.
Dans le même temps, la France est devenue le premier foyer d’émigration vers Israël, devant les Etats-Unis, alors que la communauté juive y est beaucoup plus importante. Depuis 2006, 26 000 personnes ont quitté la France pour Israël ; en 2014, 7 231 juifs français ont fait leur alya. Ce qui, il y a vingt ans, était une lubie pour idéalistes ou pour « quelqu’un qui avait raté sa vie » comme le souligne un interviewé, est devenu un projet de vie, une alternative à l’insécurité grandissante et une solution pour vivre en paix.
A travers cet ensemble de choix nouveaux, de réactions au sein de toute une partie de la communauté juive, se dégage une série de symptômes inquiétants qui concerne toute la société française.