Abstract: À Paris, Tel-Aviv, Istanbul ou Los Angeles, on entend et chante les fameux standards judéo-espagnols. Ce partage de connaissances est le résultat d’une patrimonialisation qui a commencé dès les années 1950 dans un espace transnational à la suite de l’éclatement géographique des Judéo-Espagnols de l’Empire ottoman. Cet article expose les différentes étapes de ce processus, tant dans la diachronie que dans la synchronie, à partir d’un terrain multisite mené en France, aux États-Unis et sur le cyberespace. On découvrira que la construction du patrimoine à travers l’expérience de la migration peut être envisagée comme un mouvement de reterritorialisation permettant aux Judéo-Espagnols de faire communauté, de reconsolider la filiation judéo-espagnole dans l’espace familial et ainsi, de constituer un territoire historique fédérateur incarné par le patrimoine. Au-delà de ce cas spécifique, l’article montre comment le patrimoine musical, en raison de son statut d’objet immatériel facilement transportable, peut nous conduire à repenser la patrimonialisation au-delà du territoire et à l’envisager comme un processus de consolidation et de création de liens entre des individus et des groupes d’individus partageant un sentiment d’appartenance.
Abstract: La question centrale de cette recherche s’inscrit dans la foulée des problématiques autour de
la patrimonialisation, de la performance et de la mise en scène des pratiques musicales. Elle
vise plus précisément à comprendre comment et pourquoi les Judéo-espagnols de France,
installés depuis le début du XXe siècle, utilisent les pratiques singulières des musiciens et
chanteurs professionnels majoritairement externes à la communauté pour revendiquer leur
patrimoine musical collectif et affirmer leur identité. La chercheuse replonge dans le passé
afin de saisir comment le répertoire musical s’est construit et est devenu un objet quasiment
exclusif au monde de l’art, alors qu’il reste associé aux répertoires dits « traditionnels ». En
vue d’interroger la judéo-hispanité musicale et déterminer ce qui la caractérise au présent, une
ethnographie multi-site auprès des artistes et de la communauté est proposée. Enfin, pour
comprendre le sens des pratiques, différents espaces de performance sont examinés à partir de
l’analyse des interactions entre les pôles de production et de réception, en cohérence avec le
contexte général de la pratique et de l’ensemble des paramètres performanciels. La conclusion
révèle notamment que la relation entre les artistes et la communauté génère un nouvel espace
familial et intimiste et que chacun des espaces forme un système interrelationnel dont
l’interaction permet de produire un équilibre qui consiste à faire vivre et à investir le
patrimoine musical au présent. Par ce biais, c’est notamment la problématique des catégories
musicales (musiques populaires, musiques traditionnelles, musiques de scène) reliées aux
espaces de pratique qui est interrogée.