Abstract: Pour ceux qui définissent le judaïsme, à l'instar du modèle chrétien, comme une religion, parler de « Juifs laïcs » relève du non-sens, voire de la provocation. Pourtant l'histoire religieuse est coutumière de tels franchissements de frontières : ne parle-t-on pas de « christianisme profane » ? de « religion laïque » ? Preuves, s'il en est encore besoin, que toute définition univoque est incapable de décrire une réalité humaine. Une autre contestation vient, elle, des milieux juifs défenseurs de la Halakha : les Juifs laïcs seraient des hors-la-loi, au mieux des brebis égarées.
Mais les faits sont là, qui résistent à toute prescription normative. Ceux que j'ai contactés pour réaliser cette étude m'ont souvent répondu être « l'homme (ou la femme) de la situation ! ». Ces termes parlent. S'y reconnaissent ou acceptent volontiers d'être définis comme tels, ceux pour lesquels être juif ne passe pas – ou plus, ou pas uniquement – par une expérience ou une pratique religieuse, au sens étroit. « Juifs non pratiquants » alors, comme l'on parle de « catholiques non pratiquants », gardant mémoire de leur éducation chrétienne et demeurant fidèles à certaines valeurs morales qui lui seraient attachées ? Cette synonymie, qui conserve un lien avec le seul domaine religieux, est trop restrictive. Se définir « juif laïc » connote un attachement actif ou nostalgique à des langues (le yiddish, le judéo-espagnol, l'hébreu...), à des cuisines, à des terres d'origine (l'Alsace, la Pologne, l'Egypte...), à des littératures, à des histoires nationales ou intimes : bref, à des pans différents selon chacun, de ce qui est constitutif des cultures juives. Sans aucun doute faut-il, dès l'abord, ajouter à cette définition plurielle son ombre portée : les recherches personnelles, les questions, les tâtonnements les efforts de mémoire et d'invention qu'elle suscite.